Et Vlan ! V’là le pavé dans la marre !
A moins de vivre sur Pluton, il est peu probable de s’adonner à la photographie nature en général, et la photographie animalière en particulier, sans avoir entendu parler au moins une fois d’éthique.
A l’heure où le brame du cerf touche à sa fin, largement relayé via les réseaux sociaux, on ne compte plus les témoignages de pratiques plus ou moins discutables, voire douteuses, rapportées du terrain.
Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que les propos qui vont suivre ne sont en aucun cas un « guide » des bonnes pratiques, mais simplement mes réflexions personnelles sur un sujet qui passionne autant qu’il divise, basées sur mon vécu personnel.
Il en va de la sensibilité de chacun et il faudra prendre en compte qu’une pratique dite « acceptable » pour certains sera perçue par d’autres comme « à bannir ».
PETIT FLASHBACK…
Nous sommes à l’automne 2020 et par le plus grand des hasards, je croise un autre photographe animalier au…supermarché. Après avoir brièvement échangé sur notre passion commune, décision est prise de nous retrouver chez lui autour d’un café pour prolonger la conversation.
Mon interlocuteur et collègue s’avère être un biologiste de formation et naturaliste chevronné.
Me considérant encore comme débutant dans le domaine, j’avoue être impressionné par ses connaissances théoriques.
Très vite, les anecdotes de terrain et autres quêtes animalières se succèdent.
J’apprends alors que mon hôte est, comme moi, sur les traces de la Loutre d’Europe depuis plusieurs années. Nous échangeons alors sur nos découvertes respectives.
Au bout de quelques minutes, stupeur: j’apprends que ce naturaliste et photographe expérimenté dispose des poissons achetés en grande surface devant ses pièges photos pour espérer capturer des scènes de vie de la Loutre.
Autrement dit, il s’adonne sans vergogne à la pratique de l’appâtage…
Un peu décontenancé, je ne peux réprimer une mine contrite et interloquée.
En réponse, il me dit n’avoir aucun problème avec cette pratique.
Me voilà donc dans un cas de figure pour le moins déstabilisant.
De toute les pratiques estampillées « non éthiques« , celle de l’appâtage figure pour moi tout en haut du tableau.
A contrario, elle semble être pour mon collègue une solution parfaitement valable pour espérer parvenir à un « résultat« .
Le mot est lâché.
Quelques sorties sur le terrain plus tard, je mettrai fin à nos échanges, jugeant que le fossé qui séparait nos conceptions de l’éthique était bien trop grand pour donner lieu à d’autres sorties.
Cette expérience-assez malheureuse, je dois bien l’avouer-m ‘a poussée à approfondir ma réflexion.
NOTIONS IMPORTANTES
Dans le vocabulaire de la photographie animalière, plusieurs termes reviennent souvent et sont perçus par certains comme autant d’atteintes à une pratique dite éthique.
Petit tour d’horizon…
LE DERANGEMENT: notion qui consiste à prendre en compte et à tenter d’éviter autant que possible de déranger la faune présente. Le dérangement peut être évité(ou du moins réduit) en appliquant plusieurs techniques telles qu’un repérage méticuleux, une bonne connaissance du terrain et des mœurs des animaux, un camouflage adapté et une discrétion maximale lors de l’arrivée sur site.
L’APPATAGE: comme vu précédemment, cette technique consiste à disposer un appât à destination de l’espèce recherchée, pour maximiser ses chances de pouvoir l’observer et/ou la photographier.
LES AFFUTS PAYANTS: monnaie courante dans certains pays d’Europe du nord, ces structures en dur à destination de photographes permettent-moyennant finance– d’observer des espèces emblématiques (loups, ours…). A noter que dans un soucis de réussite, cette pratique est bien souvent couplée à celle de l’appâtage (carcasses d’animaux d’élevage, croquettes pour animaux domestiques).
LES SAFARIS PHOTO: consistent à se payer un guide pour partir à la découverte de la faune locale (le plus souvent à bord de gros véhicules tout terrain).
LA MISE EN SCENE: une grenouille posée sur le museau d’un alligator sur laquelle repose un escargot sur lequel est juchée une mante religieuse sur laquelle une fourmi se tient debout, brandissant une baie? Une scène impossible à capturer dans un environnement naturel et pour cause: les animaux que l’on voit sur ce genre d’images sont le plus souvent morts/congelés/réfrigérés/collés/écartelés. Dans des mesures moins extrêmes, la mise en scène peut également résider dans le fait de déplacer un animal afin de composer l’image selon les désirs et besoins du photographe (pratique illégale pour bon nombre d’espèces).
LES FERMES SAUVAGES: ces structures relativement confidentielles accueillent des photographes du monde entier. On y retrouve les espèces les plus emblématiques et les plus recherchées (lynx, loups, panthères, pumas, ours, oiseaux nocturnes…). Le fonctionnement est assez simple: le photographe passe commande pour une séance avec l’espèce de son choix et les responsables se chargent de mettre en scène le shooting.
Je ne m’attarderai pas sur les cas des fermes sauvages, des safaris, des affûts payants ou encore des mises en scène à outrance, jugeant que ces pratiques restent encore heureusement minoritaires dans l’hexagone.
LE DERANGEMENT EST-IL(REELEMENT) EVITABLE?
Deuxième pavé dans la marre…
Encore une fois, les propos qui vont suivre ne témoignent que de mon propre ressenti et de mes expériences de terrain.
Depuis trois ans maintenant, je mets tout en œuvre pour que le dérangement de la faune des milieux que je fréquente soit minime. Cela passe par un long travail de quête et d’enquête en amont pour connaître les lieux les plus favorables au passage d’animaux, mais aussi et surtout, par la reconnaissance du terrain pour en déchiffrer au mieux tous les aspects et pouvoir ainsi arriver et repartir des lieux sans se faire repérer.
Mais force est de constater que si l’espèce visée ne s’est pas rendue compte de notre présence, ce n’et bien souvent pas le cas des autres animaux qui occupent le même espace. Ainsi, on pourra se féliciter de ne pas avoir été détecté par le cerf, le chevreuil ou le renard, quand de leurs côtés les geais, les passereaux et autres rapaces nous auront vu arriver à des kilomètres, prenant sans attendre la poudre d’escampette…
A mon sens, la notion de « dérangement zéro » est un mirage.
Comme dirait ce bon vieux Mr Manhattan: « Alors que faire?«
Le photographe qui voudrait se rapprocher au maximum de ce risque zéro devrait se rendre à l’évidence: oui, la pratique de la photographie animalière est une source de dérangement pour les milieux naturels fréquentés.
Le simple fait d’entrer en forêt, de sortir d’un sentier, ou de crapahuter en ligne de crête aux premières lueurs du jour EST source de dérangement.
Pousser à l’extrême, cette quête du dérangement zéro se solderait par la remise au placard du matériel, ni plus ni moins.
Pour ma part, chaque sortie s’articule autour de ce principe: je sais que la sortie que je m’apprête à faire engendrera nécessairement une source de dérangement.
En le sachant, j’entre dans mon affût avec humilité, acceptant le risque et de fait, cherchant à le limiter au maximum.
L’APPATAGE: QUAND LA SATISFACTION FOUT LE CAMP.
Pour quiconque à déjà goûté à la satisfaction ressentie après un long affût aboutissant à la rencontre tant espérée, il semble évident que l’attente, le défilement des heures et l’inconfort de la position ne paraissent que broutilles en comparaison de l’intensité du moment.
Mieux encore, l’impression d’avoir joué avec les règles de la Nature, sans tromperie, décuple ces sensations.
Encore une petite anecdote…
L’an dernier, après être finalement parvenu à photographier la Loutre d’Europe dans son milieu naturel, à la suite de deux ans de prospections et d’un affût de huit heures, je recevais en cadeau pour mon anniversaire le livre d’un photographe animalier très réputé.
En le feuilletant, je tombais sur une superbe image montrant deux loutres gambadant sur les berges d’un lac gelé, aux confins de la Taïga.
La légende qui accompagnait cette image me fit pourtant dresser les sourcils.
Le photographe y expliquait avoir réalisé cette image après avoir déposé non loin de là des carcasses de poissons à l’intention des mustélidés.
Douche froide.
Il m’aurait été inconcevable d’envisager une telle pratique(qui plus est dans un coin du globe où l’observation de cet animal est nettement plus aisée) et de présenter une telle image dans un livre.
Tout simplement parce qu’elle ne relate pas d’un comportement naturel de l’animal et parce que- à mon sens- elle n’a été réalisable qu’au prix d’une intervention humaine.
Mais où est la satisfaction?
Qu’en est-il de la quête, ce cheminement où le temps est un allié et où les remises en question sont permanentes?
Que reste-t-il de ce sentiment de compréhension et de contemplation du sauvage lorsque toutes les étapes se voient grillées?
EN RESUME…
Un seul article serait insuffisant pour faire le tour de ce vaste sujet. Jusqu’ici, je ne me suis penché que succinctement sur l’aspect « terrain » de l’éthique en photographie nature. Dans les prochains articles, j’essaierai de me pencher sur les autres domaines de cette pratique auxquels on ne pense pas forcément, mais qui jouent pourtant un rôle primordial dans la préservation du monde sauvage.
Cet article a vocation à évoluer dans le temps. Aussi, s’il vous apparaît qu’un aspect fondamental a été occulté, je vous serais reconnaissant de me le faire savoir en commentaires…